Une bal{l}ade avec Céline Roucou — Audrey Bosquet, décembre 2023

Voir l’œuvre de Céline Roucou c’est être en balade, un vagabondage, une errance poétique où celle-ci se promène, glane, recueille presque elle adopte une pierre, un morceau de bois un tissu déchiré/usé. Elle vous montre et vous démontre comment regarder le quotidien avec un œil neuf, un angle de vue, de petit et de grand à la fois. C’est une promenade en enfance, Céline Roucou glane, c’est-à-dire qu’elle ramasse çà et là une forme, elle récupère, elle accumule ce qui semble être de petits de rien. Elle « reprise » comme elle dit, elle redonne vie sans cacher son passage comme un palimpseste où chaque couche du passé peut ressurgir pour et par celui qui regarde. Elle juxtapose et crée un autre univers, des morceaux du monde. Elle relie en construisant entre le passé et aujourd’hui, ce qui a été et ce qui devient, elle construit des ponts pour relier le monde actuel (recyclage, le tout jetable) au mode du passé, le temps et la matière sont interrogés.

Céline Roucou ou une matièriste contemporaine (Fautrier/Tapié/Dubuffet). Le dialogue est permanent, l’œuvre est bavarde. À la fois irréelle et abstraite qui pourtant ne peut se départir d’une part de réel ou de provoquer une émotion. Dans mon cas, ressurgit l’enfance, les poches pleines de trésors ramassés au fil de mes aventures, cailloux avec une forme particulière, morceau de bois évoquant une forme connue. Céline crée et joue l’accident pour évoquer cette mémoire de l’enfance où chaque trésor recueilli faisait partie d’une collection hétéroclite et précieuse.

Voir l’œuvre de Céline Roucou, c’est aussi une ballade, une poésie chuchotée à l’oreille, Céline chuchote suggère, vous laisse prendre le plaisir de regarder les formes qu’elle a cousues, qu’elle a construites, qu’elle a assemblées. C’est aussi une ballade poétique par la douceur narrative inhérente à la personnalité de l’artiste. Poétique aussi quand le petit « rien » récupéré /recyclé prend place dans le tout et se met en scène par la force du vocabulaire plastique de l’artiste.

Céline Roucou nous place devant le jetable, le périssable en lui rendant une âme, en nous racontant une histoire. Elle coud à gros points, montre ses « ficelles ». Ne triche pas avec le spectateur. Une mise scène simple qui correspond à sa nature profonde et une sincérité naturelle chez elle.

D’ailleurs, le lien, le nœud est un point important dans l’œuvre de Céline Roucou, faire le lien, réunir entrecroiser des pratiques ou des matières différentes, faire vibrer ensemble la nature et la main de l’homme. Comment ne pas évoquer le contact avec la matière, toucher des textures différentes laisser brutes certaines, recouvrir d’autres, tant de choix qui font de Céline une Pénélope contemporaine, elle monte puis refait, change, ajoute, défait. Elle cherche un équilibre, une évocation presque fugace d’une forme organique, une rêverie. Elle garde le lien avec le spectateur, elle nous conduit comme le petit poucet avec un caillou, une forme, un morceau de dentelle.

Céline évoque une vie de femme artiste, qui garde ses souvenirs, continue le lien, le prolonge même, avance avec ses turbulences et ses plaisirs. Elle chérit les trésors qu’elle trouve, elle parcourt la matière de ses mains et de ses souvenirs ou de ses mondes imaginaires. Regarder l’œuvre de Céline comme une contemplation tout en douceur, une suspension dans le temps. Prolonger le vivant et le souvenir en équilibre, difficile combinaison que Céline Roucou a trouvée dans son œuvre.

« De point de vue en point de vie », résidence carte blanche — Texte écrit avec Soizic Baticle, mai 2024

Céline Roucou associe son processus de création à l’aspect méditatif de la marche, que l’artiste a pratiqué au long de sa résidence. L’idée de déplacement dans l’espace se reflète à travers ses diverses créations qui occupent la galerie. L’artiste cherche l’énergie dans ses déplacements, dans l’implication de son corps dans l’espace de création et dans le pouvoir évocateur des textiles qu’elle collecte depuis des années auprès de personnes proches ou inconnues.

Dans l’installation Aimer la Terre de toute ma peau, on retrouve des objets textiles appelés « routines » par l’artiste, résultant de gestes automatiques, pouvant varier en tailles, formes, couleurs, motifs et matières. Cet amas hétérogène est déposé au sol sur de la terre argileuse récupérée dans son village d’enfance. Une partie est accrochée au mur exposée dans la vitrine tel un hamac. L’accumulation progressive de volumes textiles qui évoquent la matière organique et charnelle s’est transformée tout le long de la résidence par l’ajout quotidien de nouveaux éléments.

L’artiste aime travailler à la main, être au plus proche des matériaux et du toucher, éprouver l’effort physique et la répétition d’une technique.
Elle ravaude, consolide, reprise dans une recherche de narration intime, harmonieuse et poétique. Elle crée des espaces compacts, denses, épais qui coexistent avec des espaces vides, des trous, des manques dans un esprit de générosité, de rêverie et d’apaisement.

« De point de vue en point de vie », résidence carte blanche — Fabiana Demoraes, mai 2024

Dans la dynamique de structuration de la Filière Arts Plastiques et Visuels de la Direction de l’Action Culturelle et du Patrimoine, Amiens Métropole accueille quatre artistes en résidence à la Galerie Totem, du 24 avril au 25 mai. de manière à leur offrir un cadre temporaire de travail. Cette troisième Carte blanche, intitulée « De point de vue en point de vie » offre un cadre temporaire de travail et prend les dimensions d’une résidence de recherche et d’expérimentation, afin de mettre à l’épreuve des démarches, des méthodes, des protocoles de travail de création.

Les travaux de Céline Roucou, Gunjidmaa Loucheut, Hamideh Harfi et Balsem Jeridi questionnement de l’écriture, les récits fondateurs et coutumes. Le fil – celui du temps, du dessin, de la couture, de l’écriture – travaillé en broderie, traversant les gestes de performances ou présent dans la matière textile qui compose des installations reste un concept fédérateur de leurs propositions.

L’expérimentation oriente leurs processus de création respectifs. La rencontre et le partage pendant un mois de résidence artistique est l’occasion de confronter les pratiques et les parcours, les expériences autour de leurs créations. Cela dans le but de faire « commun », sans obligation d’aboutir à une œuvre collective.
Les artistes accueillent le public autour de leurs créations, lors d’un moment de convivialité prévu le 25 mai à Totem.

Finissage : Le samedi 25 mai / 15h-18h


Hamideh Harfi

Née au printemps 1976 à Tabriz, Iran, elle nourrit dès son jeune âge une passion ardente pour la peinture. Malgré des études en sciences expérimentales, elle persiste. Après avoir fondé une famille et décroché un diplôme en calligraphie, elle embrasse pleinement la peinture en collaborant avec un maître, exposant ses œuvres mêlant réalisme, impressionnisme et abstraction. En 2015, elle s’installe en France pour étudier, intégrant à l’Université de Picardie Jules Verne en arts plastiques.
Intention : Dans le cadre de cette résidence, je suis plongée dans une recherche approfondie sur le Shâhnâme. Mon objectif est de capturer l’essence orale de cet œuvre épique en collaboration avec les autres artistes résidents. Je propose de réaliser un ensemble d’enregistrements sonores où chaque artiste choisira un extrait du Shâh-Nâme qu’il lira à plusieurs reprises, sans connaître ma démarche ultérieure. Après une semaine, je leur demanderai d’écrire tout ce qui reste gravé dans leur esprit de cet extrait, puis de me l’envoyer. Je m’attèlerai alors à réécrire un nouvel extrait, en conservant le rythme propre au Shâh-Nâme et en utilisant les mots qui auront marqué leur mémoire. Enfin, nous procéderons à une relecture collective de ce nouveau passage lors de la dernière journée de la résidence. Cette démarche vise à explorer la manière dont les récits du Shâh-Nâme s’inscrivent dans notre conscience collective et comment ils résonnent à travers différentes interprétations artistiques.


Balsem Jeridi

Née en Tunisie.
Vit et travaille à Amiens.
Après une première année à l’école de Beaux-Arts de Tunis, elle déménage en France, afin de poursuivre ses études à l’Université de Picardie Jules Verne en arts plastiques. Dans le cadre de ses études, l’artiste a présenté son travail à Amiens, à la Maison de la Culture d’Amiens et la galerie Totem. Sa démarche artistique porte sur les enjeux liés à sa condition d’artiste africaine en déplacement sur un territoire étranger. Aussi, elle interroge l’expérience de son corps comme territoire, comme espace et support pour sa pratique artistique. Elle fait usage des différences culturelles pour créer un territoire de recherche et partage cela au travers de la vidéo performance, la céramique, la calligraphie, les installations où l’écriture occupe une place importante. Elle y écrit des histoires et lisibles uniquement par le geste et le son. Son écriture devient motif et son corps, outil d’exploration.
Intention : « Pour cette carte blanche, ce qui m’interpelle le plus c’est le partage de cette espace avec des personnes de cultures différentes. Le déplacement est notre point en commun. Cependant, je donne un autre sens au déplacement que sa définition propre. Le point de départ de ma recherche, c’est la récolte des récits, des souvenirs, des mythes des cultures différentes, des traditions…. Ces écritures de ces derniers, vont se transformer en un visuel sonore, qu’à travers on voyage sans se déplacer », affirme l’artiste.


Céline Roucou

Née à Amiens où elle vit et travaille
L’artiste crée essentiellement avec le textile et pratique le dessin. Sa démarche interroge les liens, la mémoire, les racines, les cycles du vivant. Elle questionne le rapport à la matière, aux gestes, aux savoir-faire simples, dans une forme de résistance à la culture du jetable, du « clic », de la rapidité, de la gratification instantanée. L’errance est aussi une étape essentielle de sa pratique. « Quand je marche, je cherche, je mémorise des formes, des trajets, des harmonies de couleurs. Je travaille avec des restes textiles dans un processus lent, répétitif, intuitif et dans un lien d’intimité avec la matière. J’utilise la couture anarchique à grands points et des techniques tels que les entrelacs, le nouage et le tissage », affirme.
Intention : Je souhaite traduire mon expérience du dehors en une expérience du dedans intime et poétique. Les sorties à la campagne font ressurgir en moi des réflexes, des occupations et des émotions de mon enfance : fabriquer à même le sol des constructions astucieuses avec les matériaux qu’offre mon environnent immédiat, avoir le sentiment de partir loin alors je suis à quelques kilomètres de chez moi. Pendant la résidence, je propose de me déplacer régulièrement à pieds pour venir travailler sur mes recherches à la galerie Totem. Je porterai un sac à dos rempli de fils et tissus. J’emprunterai le chemin du halage où je prendrai le temps de mémoriser des formes, des ambiances, des entrelacs, des couleurs, des lignes. Je me laisser surprendre, émerveillée, connectée au vivant. Je commencerai à réfléchir à mes dessins et sculptures en marchant. Mon intention est de créer une ou des installations constituées de multiples formes textiles pour inviter le spectateur à entrer en mouvement, en déplacement


Gunjidmaa Loucheut

Née en Mongolie.
Vit et travaille à Amiens.
Passionnée de toutes sortes de créations manuelles et artistiques, elle s’est reconvertie professionnellement depuis 4 ans en artisane couturière. Aujourd’hui, elle dispense des cours de couture à la Briqueterie, à Amiens. Diplômée de BPJEPS Éducation à l’Environnement vers un Développement Durable, sa démarche est tout naturellement écoresponsable et tournée vers le recyclage tout en partageant ses connaissances et savoir-faire à son propre compte sous le nom de Créa Récup. La particularité de ses ateliers d’upcycling est de revaloriser des chutes de tissu ainsi que des textiles qui ne servent pas ou plus en des vêtements ou objets customisés par le biais d’une démarche créatrice et/ou créative. « Recyclage, transformation, customisation, récupération… Ce sont quelques mots d’ordre dans ses créations. C’est ainsi qu’elle donne une « seconde vie » à des vieux habits ou vêtements de récupération. De plus, j’utilise diverses techniques dans mes travaux, telles que la broderie pour décorer ou customiser, le patchwork avec les chutes de tissus pour des nouvelles réalisations et également la couture appliquée pour raccommoder etc ».
Intention : Profiter de chaque instant que je vais passer auprès d’autres artistes plus expérimentés et m’inspirer de leurs créations artistiques afin de mieux exploiter mes connaissances techniques en terme de couture, de broderie et de tricot dans mes réalisations textiles. Je suis persuadée que ce sera un moment de partage riche en enseignements. Proposer éventuellement des moments de partage en broderie et échanger nos savoir-faire.